DIRE ADIEU : Comprendre et traverser le deuil
DIRE ADIEU :
COMPRENDRE
ET
TRAVERSER
LE
DEUIL

 
Le deuil est la souffrance éprouvée lors de la perte d’un être aimé. C’est aussi l’occasion d’être confronté à la mort, la finitude absolue.

De tout temps l’humain a refusé la mort et développé de multiples croyances sur d’autres formes de vie, support des religions. Les progrès de la médecine ont fait reculer la mort, les médecins ont développé une intolérance à la mort et s’acharnent à la survie. Ambroise Paré disait : « Je les soignais, Dieu les guérit. » Aujourd’hui la mort est un échec de la médecine et du médecin. Le deuil peut être ignoré voire rejeté : vite passer à autre chose, redevenir performant et continuer à consommer. La douleur est mal vue.  En même temps, il y a un meilleur accompagnement de la fin de vie : mort chez soi, chambre funéraire à l’hôpital, aide psychologique. Récemment, un regain d’intérêt donne lieu à diverses évaluations et prises en charge.

Comprendre le deuil

Chaque deuil est unique

Outre la spécificité de la perte, le deuil est influencé par des facteurs individuels, contextuels, socioculturels et religieux. Les études récentes s’appuient sur la théorie de l’attachement et envisagent le deuil comme une forme d’anxiété de séparation. L’impossibilité de rejoindre l’autre engendre un sentiment dépressif. Cette théorie permet d’appréhender certains comportements des endeuillés comme une résurgence des comportements de base de l’attachement.

Adieu les étapes du deuil

La grande référence est la description des étapes d’Élisabeth Kübler-Ross qui a été reprise et détournée vers une prescription lors de toute sortes de séparations (santé, membre amputé … et même le téléphone !), en particulier dans le domaine professionnel (licenciements, changements de poste …). Divers auteurs ont repris cette notion avec d’autres vocabulaires. L’origine est une recherche sur l’évolution de personnes qui viennent d’apprendre qu’elles souffrent d’une maladie incurable. Élisabeth Kübler-Ross a étendu l'application des étapes vers la mort à la situation de personnes en deuil dans son livre Les derniers instants de la vie (1969). Mais les cinq phases du deuil ne sont jamais mentionnées pour la famille du défunt. Ce n’était pas une étude scientifique mais un ensemble de conversations[1]. Depuis, de véritables recherches scientifiques sur des veufs [2] ont montré que seulement 11% ont suivi la trajectoire dite « normale » (2% de la population générale). C’est devenu un modèle controversé, normatif, enfermant et culpabilisant.


Les études scientifiques proposent une nouvelle approche du deuil. L’observation montre des oscillations entre confrontation à la perte et ajustements aux changements de vie. La première nécessite un soutien émotionnel, la deuxième la résolution des problèmes de la vie courante [3].

Plus le défunt avait une fonction de soutien plus le risque d’effondrement est présent. Il est important d’évaluer les possibilités de soutien de l’endeuillé par sa famille, ses amis, ses collègues … En cas de besoin, les deuilleurs [4] peuvent se tourner vers des associations.

Processus de deuil

La référence étymologique habituelle du mot travail est tripallium : instrument de torture à trois pieds. Des études linguistiques plus poussées donnent une autre compréhension : le préfixe tra du latin trans donne une notion de passage, de transition ; le radical val est relatif à un déplacement ou un changement d’état. Le travail peut être défini comme un ensemble d’activités orientées vers un changement. Processus vient de procedere qui veut dire aller de l’avant, suivre une évolution. Le processus de deuil peut être défini comme la façon qu’a le sujet de transformer sa relation au défunt. Le travail du deuil peut être compris comme ce que fait le sujet, consciemment et non consciemment, pour cette transformation. Le travail serait l’action et le processus, l’effet en cours.

Le deuil confronte aux données existentielles : finitude, solitude, imperfection (regrets), responsabilité et liberté (accompagner celui qui va mourir, regarder sa propre vie et faire des choix), de retrouver du sens (sa place et son rapport au monde, ses valeurs, ses motivations). Le deuilleur fait face à la perte et s’ajuste aux changements de sa vie. Les deux sont source de stress. La perte demande une régulation des émotions, des changements. La gestion de la situation nécessite une restauration du sujet, un fonctionnement suffisant.

Une multitude d’émotions peut traverser les deuilleurs : du chagrin, de la colère, de la rage, de la peur, de la terreur, de la honte, de la culpabilité, de l’impuissance …  L’indicible est en lien avec du caché : particularités de la relation, secret, manquements, complexité de la relation, tout ce qui est générateur de honte et de culpabilité. On peut voir aussi des ruminations, des pensées récurrentes autour de la mort. Il arrive que la personne soit anesthésiée, paralysée ou confuse, ce qui indique un état traumatique.

Dans l’évolution, on retrouve souvent le cycle d’une année des événements partagés avec le défunt (fêtes, anniversaires, vacances …) avec une activation des effets du deuil à ces moments-là. Généralement ces phénomènes diminuent d’année en année. Beaucoup d’éléments interviennent dans les caractéristiques du deuil : relation au défunt, circonstances de la mort, deuils répétés, jeune âge, isolement socio-affectif, perturbation des rites funéraires. Ils peuvent rendre un deuil plus difficile à assumer, qui va demander plus de temps.

La situation engendre beaucoup d’anxiété. Il est bon de proposer des pratiques simples pour l’apaiser (pôle émotionnel). Parfois la perte d’un membre du groupe (familial ou autre) génère des situations complexes. Sans s’immiscer dans la situation, sans donner de conseil, le thérapeute peut aider l’endeuillé à clarifier la situation, relativiser les besoins, quitter la sensation d’urgence (pôle cognitif). Le soutien est très important et on peut faire appel à un groupe d’accompagnement pour les personnes isolées (pôle social).

La perte engendre des perturbations diverses et notre approche gestaltiste aide à appréhender l’impact sur les diverses dimensions de la personne. Nous sommes attentifs à l’environnement et aux facteurs de risque et de protection. Le deuil est une perte de lien et nécessite du soutien. Notre accent mis sur la relation dans notre approche la rend fondamentalement pertinente. Regarder le processus de deuil comme un processus de désengagement est un support de représentation et donne des outils.

4 tâches du deuil répertoriées par Emmanuelle Zech

  •  Accepter la réalité de la perte et le changement de l’environnement (tête et cœur)
  • Ressentir la douleur du deuil, prendre du temps mais pas tout le temps (corps et cœur)
  • S’ajuster à un environnement nouveau dans lequel le défunt est absent (tête et social)
  • Relocaliser le défunt et transformer le lien (spiritualité, cœur et relation)
     

Les deuils

  • Les marques de la complexité du deuil sont le temps, la manière d’être présent au deuil ou son absence, les causes de la mort.
  • Le deuil le plus terrible est sans doute la mort d’un enfant. La protection n’a pas suffi, l’avenir est anéanti, il semble particulièrement injuste, il va à contre-courant.
  • Certains sont endeuillés sans le savoir. La perte inconnue d’enfant né ou conçu avant eux, d’un jumeau, impacte fortement la vie de certaines personnes.
  • L’accompagnement de deuils de parents maltraitants ou incestueux demande de traiter d’abord le traumatisme et la relation abimée.
  • La perte de son animal de compagnie peut être tout aussi importante que celle d’une personne.
  • L’absence de rite laisse une sensation de non séparation.
  • Le suicide engendre une forte culpabilité, écran à l’insupportable impuissance.
  • L’absence de sens peut être un gouffre dans lequel on se perd soi-même. 

Accompagner le deuil

L'approche gestaltste

 
Toute relation peut parcourir plus ou moins harmonieusement le cycle de contact, prendre fin ou subir une interruption à un moment ou l’autre. L’interruption peut être le fait de la disparition de l’autre. Le repérage de la qualité relationnelle et du moment de cette disparition va guider l’accompagnement du deuil et permettre le déroulement et l’achèvement du cycle de contact. Les trous, les manques, les ratés, les ravages de la relation freinent et rendent difficile le parcours. C’est un travail de restauration et de séparation qui sera abordé au travers de la gestalt-thérapie.

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Quelques situations

Valérie pleure la mort de sa cousine Gladys qui s’est occupée d’elle suppléant aux carences maternelles. Contrairement à Valérie, Gladys s’est mariée, a eu des enfants. La situation présente une intrication d’absences auxquelles Valérie sera confrontée au cours du travail : la perte de sa cousine-mère, le renoncement à la mère qu’elle aurait voulu être, semblable à Gladys et l’acceptation de l’absence d’enfant. Ceci va nécessiter une instillation progressive de cette perte dans les premières séances habitées par la préoccupation de Valérie pour les enfants de Gladys qu’elle voit beaucoup moins. Le parcours sera émaillé des manques de mère et d’enfants.

Chantal a la sensation de toujours chercher son père mort depuis plus de 30 ans. Une crise cardiaque l’a emporté lorsqu’elle avait une dizaine d’années. Elle n’a pas été à l’enterrement. Elle reste avec le mouvement de le chercher et la sensation d’être encryptée avec lui. La relation est devenue très forte lorsque l’arrivée de son frère a accaparé sa mère. Quand elle a grandi, Chantal perçut de la distance entre elle et son père et fit des efforts pour le retrouver. Dans une ambiance confuse, il semble qu’il y ait eu une rivalité particulière entre elle et sa mère qui manifestait de l’hostilité à l’égard de Chantal et de son mari. Une certaine ambiguïté filtrait dans les confidences qu’il lui faisait à propos de sa mère et d’autres femmes. En même temps, ceci lui donnait la sensation d’être importante, privilégiée. Le parcours rencontra une diversité de mouvements : le besoin affectif de son père (amour et colère), son malaise dans une relation inappropriée (confusion), une clarification de son identité (fille ou femme). Ceci a nécessité une régulation intérieure de la relation au père avant de pouvoir la clore.
 
Muriel tenait la main et le bras de son mari, les yeux rivés sur son électrocardiogramme dont le rythme ralentissait progressivement. Elle répétait « Oh la la ça va être fini ! » Et puis ça finit. L’impossibilité de croire à cette mort la conduisit chaque jour au funérarium pour voir le corps. Elle aida le préposé à habiller son mari. C’était la dernière chose qu’elle pouvait faire pour lui après avoir été tellement impuissante à gérer une relation qui s’était dégradée. Dès lors, elle se trouva dédoublée entre celle qui gère activement les funérailles, la famille, les amis, l’administratif, sa vie professionnelle … et celle, effondrée dès qu’elle était seule, sans manger, inactive, se gavant de séries télévisées mièvres. Malgré l’altération de leur relation, la présence de son mari soutenait Muriel. La perte de ce soutien nécessitait tout une reconstruction personnelle pour faire face à ce deuil.
 
Marie a 10 ans quand, un soir après sa journée de travail, son oncle s’est jeté dans le fleuve. Un barrage a arrêté son corps au bout de trois semaines. Durant tout ce temps Marie s’est imaginé qu’il était parti en mission et qu’il allait revenir. Le secret de cette mission expliquait que son épouse n’était pas informée. Cette fable soutenait Marie dans son impuissance à consoler sa tante malgré son attachement particulier. Pour les funérailles la famille se réunit chez les grands-parents. Il y avait là des personnes que Marie ne connaissait pas. Depuis un coin de la pièce, elle regardait cette assemblée en pleurs. Son père vint la voir et lui dit : « Regarde tous ces gens. Crois-tu qu’ils soient sincères ? En réalité, ils pleurent les services qu’il ne leur rendra plus. Laisse-les et va jouer dans le jardin. » Marie descendit dans le jardin. On la tint à l’écart des funérailles. Elle continua longtemps à croire au voyage secret et au retour de son oncle. Il lui reste la culpabilité de n’avoir pu consoler sa très chère tante qui entache l’estime d’elle-même.
 
Surprise par le deuil périnatal lors de mon activité professionnelle en maternité, j’ai été amenée à me former et me documenter. Depuis, l’évolution de l’approche du deuil m’a invitée à de nouvelles façons de l’aborder.

Bibliographie

REVUES

ARTICLES

  1. [1] https://www.scientifique-en-chef.gouv.qc.ca/impact-recherche/les-5-etapes-du-deuil-un-modele-valide-faux/

  2. [2] George Bonnano, 2002

  3. [3] Strœbe et Schut (cité par E. Zech)

  4. [4] Deuilleur : En ethnologie, ce mot désigne celui qui pleure et chante lors des funérailles primitives. Ce terme envisage le sujet comme acteur de son processus.

  • Article créé le 18/03/2025
  • Mis à jour le 01/04/2025 à 13h04

À PROPOS DE L'AUTEURE

Portrait de Martine Masson

Martine Masson

Psychologue, titulaire du CEP, formatrice

Psychologue, Master 2 de psychologie clinique. DU sur le deuil. Titulaire du CEP. Superviseuse diplômée (EPG). Membre agréé de la Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse (FF2P). Assure des supervisions individuelles et de couples. Formatrice en constellations familiales humanistes.

FORMATION

  • Certification de gestalt-thérapeute / École Parisienne de Getsalt
  • Formation de superviseur / École Parisienne de Getsalt
  • Le deuil dans la formation des soignants et des accompagnants / Université Paris 13
  • Psychopathologie / Université Paris 7
  • Sexologie / SFSC
  • Constellations familiales
  • DESS de psychologie clinique / Paris 

BIBLIOGRAPHIE

ARTICLES

Arborescence du couple, Revue Gestalt, 2010/1, n°37, pages 25 à 40

Quand mon client me fait vaciller.., Revue Gestalt, 2009/2, n°36, pages 73 à 90

Te dire adieu, mon bébé, Cahiers de gestalt-thérapie, 2009/1, n°23, pages 113 à 136

 

LIENS EXTERNES