Quitter la dépendance affective avec la gestalt-thérapie
QUITTER
LA
DÉPENDANCE
AFFECTIVE
AVEC
LA
GESTALT-THÉRAPIE

L’attachement : une quête de sécurité vitale

La théorie de l’attachement, développée par John Bowlby, postule que l’être humain cherche, tout au long de sa vie, à établir des liens affectifs avec des figures significatives. Ces liens répondent à un besoin fondamental de sécurité pour tout être humain.

Ce processus repose sur des modèles de représentation intériorisés, construits dès la petite enfance à partir des interactions avec la mère, puis étendus aux autres figures de l’entourage. L’enfant élabore ainsi une représentation de lui-même et des autres de ce qu’il peut attendre d’un lien, de ce qui est sûr, de ce qui est menaçant.

Lorsque ces premières relations s’appuient sur une image positive de soi et de l’autre, un attachement dit "sécure" se met en place. L’enfant développe alors un sentiment de confiance, une base de sécurité interne. De là naît une image valorisée de lui-même, en miroir de la fiabilité perçue chez l’autre et de l’attention portée.

Quand les bases sont fragiles : vers une insécurité affective

Mais tous les enfants ne grandissent pas dans un environnement suffisamment bon, stable, attentif et contenant. L’indisponibilité émotionnelle, psychique des parents, l’incohérence des réponses à des besoins, l’absence de limites claires, le manque affectif… peuvent perturber la construction de cette sécurité interne. Peu à peu, l’enfant apprend à s’adapter à une insécurité affective chronique pouvant conduire à l’âge adulte à une dépendance à des comportements, à un produit, à une relation.

Dépendance affective : la blessure d’un vide intérieur

La dépendance affective est une souffrance sourde, issue d’une blessure ancienne, de traumatismes émotionnels, d’une carence affective. Elle repose sur une peur de l’abandon, du rejet, du vide existentiel. L’individu qui en souffre ne recherche pas l’amour pour aimer, mais pour apaiser une angoisse – celle de ne pas exister sans l’autre.

Contrairement à l’amour, la dépendance affective n’est pas un lien libre ou nourrissant. Elle se manifeste par un attachement excessif, un besoin irrépressible de l’autre. Le sujet dépendant néglige sa propre vie, abandonne ses besoins, ses désirs, jusqu’à parfois tolérer l’inacceptable.

Comme dans toute addiction, un renforcement négatif est à l’œuvre : on reste non pas pour le plaisir, mais pour éviter la souffrance. La peur de l’abandon prend le dessus sur tout. Ce lien, devenu déséquilibré, agit comme un pansement psychique, un objet transitoire pour éviter l’effondrement du sentiment d’exister.

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Quand l'amour bascule : de la passion au piège

Amour et dépendance affective n’ont rien en commun, même si l’intensité ressentie peut troubler les repères. L’amour nourrit, fait grandir, soutient l’autonomie. La dépendance affective, consume, restreint, érode l’estime de soi.

Il arrive que l’intensité des débuts - ce cœur qui bat la chamade, cette euphorie soudaine, cette sensation de plénitude- fasse croire à un amour absolu. Mais cette exaltation peut cacher un basculement : celui d’un attachement démesuré. Insidieusement, le lien devient alors douloureux. La personne dépendante affective endure, encaisse. Elle s’attache à ce qui la fait souffrir, préférant la douleur au vide.

Le lien qui emprisonne : entre attachement et addiction

Ce type de relation n’est plus basé sur un échange réciproque, mais sur un mécanisme d'évitement de la souffrance, de l’angoisse, de la colère, de la culpabilité, de la tristesse. L’autre n’est plus aimé pour ce qu’il est, mais pour le rôle qu’il joue : celui de protecteur inconscient contre un effondrement intérieur.

La peur de l’abandon, la dépendance émotionnelle et le besoin d’échapper au sentiment de malaise dominent de manière obsessionnelle tout le système relationnel.

C’est là que la dépendance affective croise les mécanismes de l’addiction. Et, il est important d’avoir à l’esprit que la marge est étroite entre le normal et le pathologique…

En addictologie, la référence la plus généralement admise pour parler de l’addiction est de s’appuyer sur les critères d’Aviel Goodman. Ils peuvent se résumer à ces cinq axes principaux :

  • la perte de contrôle avec l’impossibilité de se détacher de ces liens toxiques ;
  • le craving : un manque obsessionnel en l’absence de l’autre et une envie irrépressible de sa présence ;
  • la tolérance marquée par un besoin croissant d’attention et de réassurance ;
  • la persistance de la relation malgré des conséquences néfastes ;
  • les symptômes de sevrage : anxiété, dépression, panique en cas de rupture 

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Les chaines invisibles du quotidien

A partir de ces axes, il est possible d’identifier des signes qui caractérisent cet état psychopathologique :

  • Un besoin excessif, persistant, de reconnaissance et d’approbation. Une grande difficulté à prendre des décisions quotidiennes sans l’aval d’une personne. « Quand il me dit que je suis belle, intelligente, que je pourrais faire des études, que je dois avoir confiance en moi ; je me sens revivre dans ses yeux. »
  • L’autre est l’objet permanent et incessant des pensées de la personne dépendante. « S’il n’est pas là, s’il ne répond pas à mes appels est-ce que j’existe ? »
  • Le besoin de plaire peut conduire à renier sa propre identité. « Je m’habille et me coiffe comme il le décide. »
  • Tendance à s’oublier, faible estime de soi et très peu d’affirmation de soi face à l’autre. « Pourquoi il n’y a que dans votre cabinet que j’arrive à penser un peu ? »
  • Le penchant au sacrifice, la tolérance à l’intolérable. « Il devient de plus en plus dur et méprisant à mon égard. »
  • Une tendance à attirer des partenaires qui nous ressemblent. « Je suis revenue au domicile, je ne pouvais pas être loin de lui. Il a pleuré, il était aussi perdu que moi sans moi. »

De la dépendance affective à l’individuation

Au-delà de la souffrance relationnelle qu’elle engendre, la dépendance affective met en péril un processus fondamental, celui de l’individuation. C’est-à-dire la capacité à se percevoir comme un être distinct, autonome, avec sa propre subjectivité, ses choix, ses limites, sa voix, d’autres centres d’intérêt que notre amoureux(se)…

Pour se dégager d’une demande permanente de reconnaissance affective, le recours à un travail sur soi devient essentiel pour apprendre à se retrouver en dehors du regard de l’autre. Dans ce contexte, l’accompagnement thérapeutique prend tout son sens et est nécessaire.

Trop peu reconnue pour sa pertinence dans l’accompagnement des personnes dépendantes affectives, la gestalt-thérapie offre pourtant un cadre d’exploration profondément ajusté à la complexité de leurs vécus. Là où les TCC sont souvent mises en avant comme référence quasi exclusive, la gestalt-thérapie propose un travail tout aussi rigoureux et transformateur. Ce que nous faisons en Gestalt, les TCC le font aussi… mais différemment, et parfois, moins incarné, moins sensible au vécu subjectif du lien thérapeutique.

La thérapie gestaltiste, une approche pour se déprendre

La gestalt-thérapie est une approche thérapeutique humaniste, existentialiste et intégrative. Dès son origine, elle se fonde, s’appuie et se situe au carrefour de courants divers : la psychanalyse, la gestalt-psychologie, la phénoménologie, l’existentialisme, les philosophies orientales, l’expérience sensible, corporelle, émotionnelle, affective, sociale et spirituelle… autant d’approches particulièrement utiles dans le travail avec les personnes dépendantes.

Cette diversité d’influences a nourri une clinique spécifique centrée sur l’expérience immédiate et sensible du sujet. La gestalt-thérapie porte son attention sur ce qui vit dans l’expérience de « l’ici et maintenant », tout en accueillant la résurgence éventuelle de vécus anciens voire traumatiques. Le passé est présent en gestalt, tout comme le futur, qui est pris en compte dans un « ici et maintenant pour l’ensuite ».

C’est dans ce vécu direct de « ce qui est là » que prend toute sa place le concept d’awareness. L’awareness désigne un état d’éveil aux flux permanents de sensations physiques, de sentiments, d’idées, à toute une atmosphère perceptible. Cette manière d’être au monde est mise au service du travail thérapeutique, dans la prise de conscience et l’expression de ce qui émerge chez la personne dépendante affective : l’identification de ses besoins, l’activation de ses ressentis, l’ambivalence à arrêter la relation toxique, le réajustement de ses modalités de contact.

En Gestalt, le thérapeute devient aussi une figure avec laquelle le dépendant affectif peut expérimenter un nouveau type de lien : soutenant sans fusionner, confrontant sans rejeter. Il peut ainsi vivre au sein de la relation thérapeutique une expérience d’attachement stable et « suffisamment bon » qui permettra au sujet de se détacher petit à petit de ses ajustements conservateurs pour aller vers un ajustement créateur.

Dans le prolongement de ce travail thérapeutique, la gestalt s’attache aussi à explorer les perturbations des fonctions du self, tant elles sont souvent absentes, désorganisées ou perturbées chez le sujet dépendant. Pertes des fonctions du mode moi, ça et personnalité. Travailler à la frontière contact sur les modalités de contacter du sujet dépendant affectif, c’est permettre très progressivement une différenciation entre soi et l’autre ; condition essentielle à l’individuation et à l’autonomie.

Chez les personnes dépendantes, la temporalité est particulière, presqu’a-temporelle. Le temps semble s’immobiliser un peu comme dans l’expérience extatique de l’amour ; il n’y a plus d’expérience du passé et du futur. D’où l’importance d’un travail thérapeutique gestaltiste qui vise à accueillir ce qui est là en acceptant, soutenant et/ou ralentissant les étapes du cycle du contact. Les outils, les expérimentations que nous proposons sont présentés pour faciliter le chemin de conscientisation et de différenciation. Ce n’est pas l’accomplissement de l’expérimentation qui importe mais la conscience de son déroulement.

En nous appuyant sur les concepts fondateurs de la gestalt et sur la posture spécifique du clinicien gestaltiste, nous pouvons affirmer que cette approche offre des ressources précieuses pour accompagner les formules plurielles de dépendance qu’elles soient liées à un produit, à un comportement ou à une relation.

Conclusion

Sortir de la dépendance affective ne revient pas à cesser d’aimer mais à apprendre à exister par soi-même au cœur de la relation. La gestalt-thérapie en soutenant le processus d’individuation aide à retrouver une présence à soi, à l’autre, au monde. C’est dans cette conscience renouvelée que peut émerger un changement de nouvelles figures et ajustements créateurs.

Bibliographie

Allain Dupré B. (2019) S’affranchir de ses dépendances affectives. Paris Edition Leduc.

Krebs G. (2018) Dépendance affective -six étapes pour se prendre en main. Paris Eyrolles.

Dupont C. (2014) Renoncer à la dépendance affective. Paris. Josette Lyon.

Filmographie

Cianfrance Derek. Blue Valentine. Sorti en 2010.

Spike Jonze. Her. Sorti en 2014.

 

 

 

  • Article créé le 28/07/2025
  • Mis à jour le 12/09/2025 à 10h09

À PROPOS DE L'AUTEURE

Portrait de Armelle Chotard Fresnais

Armelle Chotard Fresnais

Gestalt-thérapeute, superviseure, formatrice, psychothérapeute

Gestalt-thérapeute & Superviseure (formée à l’INGT et à l’IFGT. Organisme certificateur SNPPsy). Psychologue sociale & du travail. Psychothérapeute, Addictologue et praticienne EMDR et titulaire du CEP. A enseigné la psychologie sociale, comme maître de conférence associé à l’Université de Nantes. Exerce en cabinet libéral à Landerneau (29). Consultante, elle intervient aussi dans le secteur médico-socio-éducatif et la fonction publique. Formatrice, elle anime des sessions en addictologie (Esog et EPG). Rédige des articles pour des revues de Gestalt et de Psychologie. Après avoir été membre du comité de lecture et de rédaction des Cahiers de Gestalt (durant 10 ans), puis de la Revue Gestalt (durant 4 ans). Elle est à présent membre du comité de la revue gestaltiste numérique : « A Dire ».

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