« Qui cherche la vérité de l’homme doit s’emparer de sa douleur. » Georges Bernanos.
Que signifie être gestalt-thérapeute et comment devient-on gestalt-thérapeute ? Aujourd’hui, il suffit de taper le mot « gestalt-thérapie » sur Internet pour avoir pléthore d’informations. Aussi que dire de plus, qu’écrire qui n’a pas encore été écrit ?
Je vais tenter non pas de définir ce que c’est être ou devenir gestalt-thérapeute, mais tenter de vous dire, ce que, pour moi, à ce jour, suppose le fait de se définir gestalt-thérapeute dans le cadre d’une psychothérapie, et ce qui nourrit et soutient mon savoir sur les affres de la condition humaine.
Que suppose, dans ma pratique, être gestalt-thérapeute ?
Être gestalt-thérapeute, c’est accompagner des personnes qui ont reçu, par leur histoire, une sécurité ontologique bancale ou qui endurent des situations qui les déstabilisent, les handicapent, et mettent à mal leur « aller vers » pour prendre, donner, offrir, demander et échanger avec l’environnement.
Pour cet « aller vers », il est nécessaire d’être pleinement là pour oser se permettre de... Ce « être là » fait référence à la dimension du pathique élaborée par Viktor Von Weizsäcker[1] qui pose que la qualité de la rencontre va dépendre de ce qu’il nomme les cinq mouvements modaux constituant le pentagramme pathique : oser- pouvoir, vouloir, devoir par obligation morale, devoir sous contrainte et pouvoir (au sens d’être possible). L’être pathique est l’être capable d’éprouver de la souffrance ou du plaisir. Nous sommes bien là, il me semble, dans des notions familières aux gestalt-thérapeutes.
Aussi, si je pars du postulat que ce qui est considéré comme premier en gestalt-thérapie est la situation et les modes relationnels qui y opèrent. Je peux soutenir que toute relation fait vraisemblablement advenir, pour la croissance et le développement d’un individu, du bien-être ou de la souffrance, une confiance ou une crainte, pour entrer en contact.
Notre théorie suppose qu’il y a une indissociabilité entre un sujet et son environnement et que tout contacter est une tension affectée-affectante. De ce fait, la relation thérapeutique est le socle sur lequel cette souffrance se réactualise et possiblement se soigne. Ici, le soigner n’est pas à considérer du côté du médical, mais du côté du soin à la personne, au sens du souci, de la sollicitude que tout aidant se doit d’apporter à celui qui lui demande de l’aide.
Le gestalt-thérapeute se tient attentif à la forme que prend l’exister de cette personne : en méfiance, en repli, en soumission, en désespérance, en lutte, en impuissance, en besoin de reconnaissance, et aussi en ouverture, en espérance, en jubilation ou en d’autres formes de plaisir.
Le patient/client en souffrance cherche à se dire à un professionnel de la psychothérapie qui se tient là, présent à la singularité de sa personne, irréductible à aucune autre, et qui l’écoute, d’une écoute qui se laisse affecter et résonner à ses mots et à leur tonalité, à ses silences, ses hésitations, ses ellipses chargées d’émotions, de gêne, de honte mais aussi d’espoir.
Le gestalt-thérapeute se laisse colorer par la forme que prend la teneur du discours du patient. Il ne cherche pas l’efficacité immédiate, car il se tient présent au phénomène plutôt qu’au symptôme. La manière dont la souffrance se dit, sa forme, sa saveur et sa description retiennent son attention et le tiennent dans une tension affectée.
La recherche causaliste de cette souffrance, le besoin de la comprendre ne sont pas premiers. Je n’ai pas besoin de comprendre – du moins pas dans l’immédiat – pourquoi le patient/client va mal pour entendre combien ce qu’il vit le déstabilise et lui fait toucher de l’insupportable. De plus, lorsque le besoin de comprendre du gestalt-thérapeute est premier, le patient/client peut avoir le sentiment de ne pas être accueilli, car la considération qui lui sera donnée semble dépendre de sa capacité à faire comprendre le pathique de son vécu. Bien des personnes ont renoncé à consulter ou à poursuivre un travail thérapeutique de ce fait. Il s’agit plus d’être en résonance plutôt que de chercher à raisonner à partir de ce qui se dit ou à partir de ce qui est compris. Aussi, le Gestalt-thérapeute est attentif à se se tenir à distance de la tentation d’interprétation et des certitudes issues de sa propre vision du monde et de ses propres expériences.
L’expérience d’autrui dans notre posture ne peut se concevoir que par l’empathie, par l’écoute sensible et intuitive.C’est par ces voies-là que j’aborde la subjectivité de toute expérience et, fréquemment, c’est dans les silences que je capte la douleur de celui qui cherche à se dire et qui, bien souvent, n’a pas ou n’a plus les mots pour la dire. C’est l’esthétique de notre posture.
Comment s’acquiert et se cultive cette esthétique ?
Cela ne s’apprend pas dans les livres de psychologie ou les ouvrages scientifiques, car le savoir théorique n’est pas le savoir de l’éprouvé.
Tout d’abord le processus de formation mis en place par les écoles de formation en gestalt-thérapie y contribue en donnant une place conséquente à l’expérientiel, ainsi qu’à la propre thérapie de l’étudiant. Au cours de sa formation et de sa thérapie, le futur thérapeute endure le processus et reçoit le soutien qui lui est nécessaire pour oser séjourner sur des chantiers ou cheminer sur des chemins qui le déstabilisent, l’effraient et le plongent possiblement en abîme. Le soutien indéfectible de ses formateurs et de son thérapeute lui fournit un sol qui permet la consolidation et le renforcement de sa sécurité de base.
Le thérapeute en formation ou en exercice peut poursuivre le développement de sa sensibilité intuitive par d’autres approches. Pour s’orienter dans l’expérience du patient, le gestalt-thérapeute a besoin d’une carte mais, s’il veut vraiment saisir au plus près ses impasses, ses impossibilités à se dire, à rendre palpable son univers, une seule carte ne lui est pas suffisante.
Certes, la carte que propose la théorie de la Gestalt lui est précieuse. Elle l’oriente et lui permet de se repérer sur le territoire de sa pratique. Cependant, la philosophie, la sociologie, la poésie, les arts seront aussi des repères importants pour s’aventurer vers l’univers de ses patients. Laura Perls percevait les concepts fondamentaux de la psychothérapie gestaltiste plus du côté philosophique et esthétique que du côté technique.
Je peux régulièrement observer comment des romanciers, des cinéastes, des metteurs en scène nous donnent à saisir la folie et les absurdités qui engendrent la souffrance et les pathologies contemporaines : burn-out, troubles narcissiques, dépressions, méfiances plus ou moins paranoïaques, sentiments d’impuissance ou de toute-puissance, perversions en tout genre et j’en passe. Nous voyons qu’il y a matière pour chacun d’être possiblement contaminé par cette météo contemporaine, en souffrir et même en mourir. Les romanciers nous racontent une histoire par l’épreuve, par le pathique qui est de l’ordre du comment, c’est-à- dire une description du « comment va la vie ». C’est en quelque sorte ce que Georges Canguilhem[2] appelle les « allures de la vie ». Le mal de vivre est une allure bien différente de la joie d’exister : le rythme, le tempo et le mouvement sont différents.
La description d’un événement ou d’une situation que vivent ces personnages nous appelle, comme lecteur ou comme spectateur, à ressentir par empathie les fluctuations des affects de ce qui leur arrive, de ce qui leur échoie.
Une posture où l’humilité soutient notre humanité
Marie Petit[3] aimait dire à ses supervisés : « Mon meilleur outil, c’est moi. » Dans l’accompagnement thérapeutique gestaltiste, l’outil ne doit pas se considérer à partir de la théorie ou de la technique, mais plus à partir de notre humanité ouverte et vibrante à la singularité de cette autre humanité qui nous sollicite. La théorie n’est une fois encore qu’une manière de s’orienter et de se repérer sur le territoire singulier de nos patients/clients.
Aussi être gestalt-thérapeute, ce n’est pas être dans une recherche de la vérité ou dans une préoccupation diagnostiquante : « C’est bien, ce n’est pas bien ; c’est normal, ce n’est pas normal. » Notre vision de la relation thérapeutique nous impose de séjourner dans la rencontre pour considérer la situation qui amène le patient/client à s’orienter, réagir, interpréter son présent, de telle ou telle manière. C’est ainsi considérer qu’il opte bien souvent, pour ne pas dire toujours, pour la façon qui lui apparaît, à ce moment-là, la meilleure. Ce ne sont pas les interprétations ou les conseils qui seront, dans un premier temps, éclairants, mais bien notre capacité à regarder et à s’étonner ensemble de « pour quoi » ce qui se fait, se fait ainsi. C’est de cette reconnaissance et de cette compréhension que pourra émerger un « aller vers, en vue de... » plus ajusté à la situation présente du patient/client.
Être gestalt-thérapeute, c’est le plus souvent adopter une posture d’humilité. Dans notre pratique quotidienne nous ne pouvons pas affirmer avec certitude ce qui, dans nos propos, notre écoute ou notre accompagnement, fait soin ou va faire soin. Nous pouvons juste imaginer, supposer, pressentir, interpréter que possiblement quelque chose a soutenu, voire a apaisé, la difficulté à être, à avoir à être.
La relation thérapeutique est véritablement une histoire complexe. Parfois, j’ai le sentiment que j’ai fait une « bonne » séance et, à la rencontre suivante, le patient/client peut me reprocher une parole, un mot, un geste ou un silence. Mais aussi, alors qu’une séance m’était apparue comme banale, voire bancale, il peut me dire quelque chose comme : « Vous savez, le jour où vous m’avez dit... Le jour où vous avez... pour moi, ça a été un moment porteur, un moment important, un moment déterminant. »
En conclusion
Il me semble donc que notre pratique thérapeutique suppose d’être en capacité de supporter l’errance, l’incertitude, le tâtonnement et, encore et encore, d’être là, de se tenir là et d’y séjourner le temps nécessaire, en vue du pas suivant.
Cette posture présume que le professionnel ait un sol et une sécurité interne suffisamment stables, c’est pourquoi il s’engage également tout au long de sa pratique à se faire superviser.
La supervision lui devient particulièrement précieuse pour l’aider, le guider dans sa pratique et le soutenir lors des moments délicats. Et là encore, la qualité de la relation entre supervisé et superviseur est essentielle pour soutenir, maintenir et étayer sa capacité à être ce gestalt-thérapeute là, avec sa propre couleur, sa propre saveur et sa propre esthétique. J’en viens à considérer que notre métier est proche de celui de l’artisan et de l’artiste, car c’est par l’expérience que j’ai véritablement ajusté et façonné les outils de la gestalt-thérapie à ma main et à ma posture, en vue d’offrir un accompagnement cohérent avec mes valeurs.
Nota bene : Cet article trouve sa base dans un article précédent La relation thérapeutique nous oblige (Marie Léon, dans Gestalt 2020/1 (n° 54) pages 91 à 100.
Entamer une reconversion professionnelle en gestalt-thérapie
[1] VON WEIZSÄCKER, V., Pathosophie, Éditeur Million, 2011
[2] CANGUILHEM, G., Le normal et le pathologique, PUF, 2013.
[3] Psychanalyste jungienne, Gestalt-thérapeute et superviseure, auteure de nombreux articles publiés par la revue Gestalt et les Cahiers de Gestalt-thérapie, décédée en 2017.
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- Article créé le 21/03/2024
- Mis à jour le 13/03/2025 à 12h03
À PROPOS DE L'AUTEURE

Marie Leon
Psychothérapeute, gestalt-thérapeute, superviseure, formatrice, coach
Psychothérapeute, Gestalt-thérapeute, superviseure et formatrice.
A exercé pendant 15 ans en hôpital psychiatrique et en pédopsychiatrie. Dans l’association Thélémythe, créée en 1989, participe à la conception de l’accompagnement thérapeutique et éducatif pour des jeunes de 16 à 21 ans placés par l’Aide Sociale à l’Enfance.
Marie exerce en cabinet libéral, essentiellement auprès d’adultes et des couples. Elle intervient aussi auprès des institutions sociales pour des formations diverses – écoute, postures et théories gestaltistes, psychopathologie – ainsi que pour des analyses de pratiques et des supervisions institutionnelles.
Auteure de plusieurs articles parus dans des revues professionnelles dont les cahiers de Gestalt-thérapie et la revue de la SFG. (articles consultables sur www.cairn.info). Elle est également présidente de la compagnie des ateliers du spectacle depuis 1995: compagnie@ateliers-du-spectacle.org
FORMATION
- Certification de gestalt-thérapeute
- Formation de superviseur / École Parisienne de Gestalt
- Formation de coach / IFOD
BIBLIOGRAPHIE
ARTICLES
Préface à l'article de Jean-Pierre Mendiburu, Revue Gestalt, 2022/1, n°58, pages 99 à 100
Éditorial, Revue Gestalt, 2021/2, n°57, pages 5 à 8
Éditorial, Revue Gestalt, 2020/2, n°55, pages 5 à 7
La relation thérapeutique nous oblige, Revue Gestalt, 2020/1, n°54, pages 91 à 100
Éditorial, Revue Gestalt, 2018/2, n°52, pages 5 à 10
Sécurité, normes et ensuite..., Revue Gestalt, 2017/2, n°51, pages 89 à 102
Prendre appui résolument sur l'éprouvé, Revue Gestalt, 2016/1-2, n°48-49, pages 157 à 169
Éditorial, Revue Gestalt, 2015/1, n°46, pages 3 à 7
La thérapie du thérapeute, Revue Gestalt, 2014/1, n°44, pages 117 à 128
Hommage à Anne Peyron Ginger, Revue Gestalt, 2013/1, n°43, page 1
Un enfant si je veux, quand je veux..., Revue Gestalt, 2013/1, n°43, pages 104 à 118
Le malentendu, organisateur d'une possible maltraitance, Revue Gestalt, 2012/1, n°41, pages 55 à 64
Gestalt-thérapie et projet social dans les année 80/90, Cahiers de Gestalt-thérapie, 2010/2, n°26, pages 57 à 66
Quand tout s'effrondre, Revue Gestalt, 2010/2, n°38, pages 149 à 162
Babel, Revue Gestalt, 2009/1, n°35, pages 57 à 72
Ah, la belle séance !, Cahiers de Gestalt-thérapie, 2007/1, n°20, pages 121 à 146
Addiction au groupe de thérapie ?, Revue Gestalt, 2006/2, n°31, pages 109 à 120
Quand un philosophe rencontre la Gestalt-thérapie, Revue Gestalt, 2005/1, n°28, pages 11 à 21