LE GENOGRAMME :un outil thérapeutique puissant pour explorer son histoire familiale
LE GENOGRAMME :
UN
OUTIL
THÉRAPEUTIQUE
PUISSANT
POUR
EXPLORER
SON
HISTOIRE
FAMILIALE

 

Dominique Royaux et Muriel Beauviala, deux thérapeutes familiaux, nourrissent le tissage théorique entre la Gestalt-thérapie et l’approche systémique, en présentant ici la dimension transgénérationnelle et l’approche contextuelle. L’élaboration du Génogramme ou de la Carte familiale facilitent l’exploration des dynamiques parentales, conjugales et familiales.

Parfois une situation inachevée dans une génération vient, comme un fantôme, rôder dans le présent de la génération suivante. Chacun peut se trouver confronté à un affaiblissement de ses capacités d’évaluation et d’ajustement créateur à la situation présente. L’élargissement de la vision du champ à la dimension transgénérationnelle permet alors à la personne de se réapproprier des éléments qui ont été enkystés, mis au secret : il s’agit de « passer du roman à l’histoire ». 

La Carte familiale est une représentation graphique et globale de la famille qui permet d’avoir à la fois une vision d’ensemble sur la composition familiale et l’identification de chaque membre. La carte familiale est l’outil, le génogramme est le processus thérapeutique.

Nous allons nous appuyer sur cet outil pour deux applications différentes : 

Carte familiale

Quand il y a recherche de contenus, d’informations, nous utiliserons l’appellation de « Carte familiale ». Elle est utilisée comme outil d’investigation pour rassembler des informations sur la composition de la famille, dans plusieurs contextes : 

  • lors du premier entretien téléphonique
  • lors de l’exploration d’une demande en première séance 
  • lors d’un travail d’analyse de la pratique ou d’une supervision 

Génogramme

La carte familiale est aussi un support de travail qui contribue au processus thérapeutique. Nous parlerons de « Génogramme » quand il y a une mise au travail des relations.

 

Dans ce contexte, le support va permettre au thérapeute de proposer à la personne, au couple ou à la famille un travail d’exploration d’une hypothèse transgénérationnelle. L’engagement de ce type d’intervention se fait soit à l’émergence d’une hypothèse transgénérationnelle, soit pour une demande spécifique travaillée et co-construite avec le thérapeute. Dans ce cas, cette dernière fera l’objet de l’élaboration de deux questions :

  • une première qui concerne la famille ou l’histoire familiale (elle s’élabore sur une observation ou sur du vécu).
  • une seconde qui concerne la trajectoire individuelle de la personne (elle s’élabore sur une observation ou sur du vécu).

Ces 2 questions confrontent les deux niveaux essentiels de la différenciation du Soi : appartenance pour l’une et autonomie pour la seconde.

Ce n’est en aucun cas des questions « divinatoires ». Ces deux questions (tout comme l’hypothèse nommée plus haut), vont constituer un « fil d’Ariane » dans l’accompagnement de l’exploration. L’objectif est de guider le processus en « croisant » ces 2 questions. Trouver une réponse reste un objectif secondaire.

Deux auteurs, deux approches-référence

Le courant transgénérationnel - Murray Bowen (1913-1990) 

La B.F.S.T. (Bowen family systemic theory) propose l'hypothèse que la santé mentale d'un individu est liée au degré de différenciation qu'il est capable d'atteindre, de lui-même, par rapport à sa propre famille.

Dès 1967, Bowen invite ses étudiants en psychiatrie à rendre visite à leur famille d'origine. II leur suggère « si vous pouvez avoir une relation de personne à personne avec chaque personne vivante de votre famille élargie, cela vous aidera plus à grandir que tout autre chose que vous ferez au cours de votre vie ». 

Ce travail le conduit à développer des codes permettant de faire figurer les places et les relations familiales. II est alors considéré comme le « père du génogramme ». Les signes graphiques et formalisations seront précisés par ses élèves Monica Mc Goldrick et Randy Gerson dans « Génogramme et entretien familial » (ESF, 1985).

 

Bowen met en lumière le lien entre l’individuation de chaque personne à l’intérieur de sa propre famille et la capacité qu’a cette même famille à « permettre » celle-ci. C’est ce qu’il décrit dans son livre-référence : « La différenciation du Soi » (Murray Bowen, ESF, 1984). En d’autres termes, on ne se différencie pas seul mais dans la relation à sa propre famille : c’est circulaire et processuel.

  • Circulaire : quand l’individu gagne en autonomie vis à vis du système émotionnel familial, la famille gagne en mobilité, en souplesse et en capacité à laisser circuler la différence.
  • Processuel : l’équilibre est à cultiver en permanence, ce n’est jamais totalement acquis, comme pour tous les systèmes vivants.

La différenciation du soi désigne le degré de fusion ou de différence entre le fonctionnement émotif et le fonctionnement intellectuel. Il fait un lien entre la schizophrénie et le niveau très faible de différenciation du soi. Il postule que la difficulté à se différencier peut se transmettre de génération en génération, « Il faut au moins trois générations pour faire un schizophrène ».

Bowen propose une échelle de différenciation du soi permettant de regarder tant l'individu que la famille. De l’échelle de différenciation du Soi, découle le concept du Soi solide / du pseudo Soi.

  • En bas de l'échelle, émotion et intellect sont confondus, c'est le « moi familial indifférencié », l'individu est pris dans cette fusion émotionnelle. Il a du mal à se dégager de cet enchevêtrement pour acquérir une maturité émotionnelle (Pseudo-Soi).
  • En haut de l'échelle, la souplesse est plus grande entre l'émotionnel et l'intellect. L'individu peut développer de l'affirmation de soi et distinguer le système émotif de sa famille d'origine de ses propres besoins (Soi de base ou Soi solide). Ce positionnement n'est donc ni un « sur-attachement », ni une coupure émotionnelle (Cut off) ou une simple mise-à-distance géographique.

Selon Bowen, la personne qui fuit sa famille d'origine est dépendante d'elle émotivement, autant que la personne qui n'arrive jamais à la quitter.

La différenciation va aussi de pair avec la capacité personnelle de distinguer entre les comportements automatiques qui relèvent du système émotionnel et ceux qui sont fondés sur le système intellectuel induisant la faculté de penser. Plus le niveau de différenciation est bas, plus il est difficile de distinguer entre les deux systèmes : le comportement est régi dans une large mesure par le système émotionnel, qui semble l’emporter sur le système intellectuel. Quand les systèmes émotionnel et intellectuel sont fusionnés, l’aptitude individuelle à modifier ponctuellement son comportement est altérée. Il s’agit de choisir à tout moment entre les divers types de comportement disponibles (entre ceux qui relèvent des affects et ceux qui relèvent du mental). 

Dans l’indifférenciation, les décisions sont prises pour faire diminuer l’angoisse, sans considération des conséquences à moyen terme. La personne est dominée par ses sentiments.

L’approche contextuelle - Ivan Böszörmenyi-Nagy (1920-2007)

Pour reprendre le concept de Bowen, l'individu, pour se différencier, devra tenter d'équilibrer la balance des comptes quitte à abandonner certaines missions impossibles, en faisant un choix éclairé dans ses loyautés. Nagy reste à la jonction de la psychanalyse, de la phénoménologie existentielle et de la pensée systémique. Selon lui, ce qui intègre l'ensemble c'est « l'éthique relationnelle ». Il développe ce concept dans ce qu'il nomme « la balance de la justice ». 

La relation de l'homme à son environnement est gérée par :

  • La recherche d'équilibre du « donner et recevoir ». 
  • L’équité entre les dettes et les mérites.

La loyauté s'inscrit dans cet équilibre, comme une force régulatrice des systèmes humains et de cohésion sociale. 

  • C’est un « système de fibres invisibles qui tiennent ensemble les composants complexes du comportement relationnel dans la famille ». 
  • Ce système relationnel relie l'individu au groupe. 
  • Il lui assure reconnaissance, appartenance et liens. Le prix à payer est l’internalisation des attentes et une fidélité forte au respect des règles.

 

Selon Nagy, le fait d'avoir reçu la vie confère une dette à l'enfant, un devoir éthique à l'égard des parents, c'est une « loyauté invisible » existentielle. L'individu sera toujours loyal envers ses origines, il n'a pas le choix. S'il ne peut l'être ouvertement, il le sera de façon détournée. Si les attentes, les règles, les missions sont cachées, la loyauté se manifestera de manière indirecte et secrète. Tout ceci prend du sens dans la métaphore proposée par Nagy sur le « grand-livre des comptes » : la famille répertorie les dettes et les mérites de chacun. 

Chaque individu doit donner de façon équitable au regard de ce qu'il reçoit. Le remboursement de ses dettes se fait par l'accumulation des mérites. L'enfant, en venant au monde :

  • hérite de ce grand-livre des comptes, véritable patrimoine familial. 
  • va pouvoir en bénéficier, le faire fructifier, l'exploiter. 
  • va devoir aussi l'entretenir et le réparer.
  • reçoit également les dettes, l'ardoise des générations précédentes

Par sa loyauté, il va redresser ce qui a été déséquilibré à la génération précédente. Parfois dès sa naissance, le bébé est déjà surendetté... 

En triant parmi ses loyautés visibles et invisibles, la personne va s'acquitter des dettes et des missions. Elle restera cependant toujours redevable et maintenue dans le lien d'appartenance. Moins elle gardera de dettes et de missions impossibles, plus elle pourra inventer sa propre vie et ne pas surendetter sa future ou actuelle descendance.

Conclusion

En travaillant sur son Génogramme, la personne s’approprie son héritage de schémas familiaux. Cette démarche lui permet de mettre au travail les répétitions, les loyautés invisibles, les dettes, les « fantômes », les missions impossibles et de nommer les secrets. Tout en se dégageant d’une émotivité familiale indifférenciée, elle trouve sa capacité d’évaluation du champ et de décryptage de l’emprise émotionnelle. Elle gagne en autonomie et en capacité de suivre ses propres règles. 

Ainsi, la dimension transgénérationnelle nous invite à reconsidérer l’équilibre entre « donner et recevoir », l’éthique relationnelle, la notion de justice et du « grand-livre des comptes », à savoir les Gestalts inachevées dans les transmissions de notre histoire familiale. 

Pour aller plus loin

Bowen M. (1984) La différenciation du Soi, ESF.

Michard P. (2005) La thérapie contextuelle de Böszörmenyi-Nagy, De Boeck.

Heireman M. (1989) Du côté de chez soi, ESF.

Ducommun-Nagy C. (2006) Ces loyautés qui nous libèrent, Lattes.

  • Article créé le 09/04/2025
  • Mis à jour le 16/04/2025 à 09h04

À PROPOS DES AUTEURS

Portrait de Dominique Royaux

Dominique Royaux

Gestalt-thérapeute, formateur, superviseur

Gestalt-thérapeute, thérapeute familial systémique et formateur à l’intervention et à la thérapie familiale systémique à Forsyfa (Nantes). Superviseur et intervenant systémique, il travaille régulièrement dans le secteur sanitaire et social.

En libéral depuis vingt cinq ans, Dominique assure des thérapies individuelles conjugales et familiales, il a animé des groupes de thérapie durant une quinzaine d’années. Il appartient à un groupe de recherche clinique.

Apprentissage de la Systémie avec Guy Ausloos, Mony El Kaïm, Magda Heireman (approche contextuelle), Edith Goldbetter, Camille Labaki, Jean-Marc Guillerme et Jacqueline Prud’homme.

FORMATION

  • Certification de gestalt-thérapeute
  • Certification de thérapeute systémique à Forsyfa
  • Certification de formateur à Forsyfa 

LIENS EXTERNES

Portrait de Muriel Beauviala

Muriel Beauviala

Gestalt-thérapeute, thérapeute de couple, thérapeute familiale, formatrice et superviseure

Superviseure, formatrice, thérapeute et coach certifiée, Muriel reçoit à Paris des familles et des couples, avec un regard gestaltiste et systémique. Elle enseigne la pratique de l’accompagnement des couples et des familles, dans différents instituts. Elle a écrit sur les thèmes du groupe, de la parentalité et de la conjugalité.

Elle accompagne un groupe continu didactique, co-anime des stages sur le désir et la créativité. Elle anime des groupes thérapeutiques mensuels et un atelier du lien. Titulaire du Certificat Européen de Psychothérapie et diplômée de l'Université Paris VIII, elle est formée à la Gestalt, à la Systémie, à la Psychanalyse jungienne, aux thérapies de couple et aux thérapies familiales. Membre de la SFG et FF2P, elle s’appuie sur la Perspective de champ et la PGRO. Elle supervise des thérapeutes dans leur accompagnement en groupe, en individuel ou en couple.

FORMATION

  • Formation à la pratique des Thérapies familiales / APRTF - S. Hefez, E. Romano
  • Formation au Génogramme comme outil transgénérationnel - A. Chemin
  • Formation à la pratique de Thérapie du couple / Anne et J.P Sauzède
  • Formation à l'animation du Psychodrame - D. Markman, J.M Delacroix
  • Formation à la Thérapie de couple systémique - Centre Monceau
  • Formation à la sexologie - docteur Charles Gellman
  • Certificat Européen de Psychothérapie - CEP
  • DU « Pratique du COACHING » - diplôme universitaire / Paris VIII
  • Certification de Gestalt-thérapeute - École Parisienne de Gestalt

BIBLIOGRAPHIE

OUVRAGES

  • La Gestalt-thérapie avec les enfants et leurs famillesEd InPress - Concept-Psy, 2021. Ouvrage collectif coordonné par Chantal Masquelier - 6 auteurs : G. Abeille, B. Baronetto, M. Beauviala, L. Le Grix, Ch. Masquelier, D. Quinternet.
  • 10 films pour comprendre la Gestalt-thérapieEd InPress - La psychologie fait son cinéma, 2025. Ouvrage collectif coordonné par Lionel Souche Chantal Masquelier - 10 auteurs : V. Andrianatrehina, M. Beauviala, L. Biscarrat, M. Bittar, X. Briffault, C. Masquelier-Savatier, N. Place, A. Schnerb, S. Schoch de Neuforn, JM. Terpereau, F. Vanoye.

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