Thérapeute de couple et thérapeute familial, Muriel Beauviala présente ici quelques bases théoriques sur l’accompagnement des couples. Elle met en lumière ce qui entrave le couple, lequel oscille entre maintenir le connu et l’aller-vers la nouveauté. Elle décrit la posture du thérapeute qui tente de remettre de la fluidité dans la relation à travers une articulation de la gestalt-thérapie et de l’approche systémique.
Comment se déroule une thérapie de couple ?
Lors de la 1ère séance, le thérapeute accueille un couple porteur d’une manifestation symptomatique. Il observe qui parle et la place choisie par les partenaires. Il demande ce qui a provoqué la crise et pourquoi engager une thérapie maintenant. Il doit faire alliance avec les 2 partenaires : « vous traversez chacun et ensemble une période douloureuse.»
Il s'interroge sur la fonction utile du symptôme. Pour alléger les difficultés conjugales, il faudra assouplir la structure qui le maintient, à savoir la problématique non consciente. Sinon un nouveau symptôme apparaîtra.
La crise du couple est une expérience émotionnelle pouvant permettre un remaniement des places et des attentes.
Un cadre spécifique
Quelle est la durée recommandée pour une séance de thérapie de couple ?
La thérapie de couple présente des règles communes à la thérapie individuelle. confidentialité, responsabilité, non passage à l’acte violent ou sexuel. D'autres sont spécifiques comme la durée de séance (entre 1h15 et 2h) ou la fréquence des séances, à définir au cas par cas.
Les modalités de paiement sont à observer : qui paye quoi, pour qui ? Est-ce que chacun paye la moitié ou y a-t-il une dissymétrie (choisie ou tacite) ? Une séance annulée à moins de 48h est due. Pas de séance si l'un des deux est absent.
Le nombre de séances est variable selon les situations mais limité : 10 séances sont suffisantes pour soutenir un couple sans crise majeure. 15 à 20 séances sont souvent nécessaires pour des couples à transactions violentes ou aux prises avec des angoisses existentielles. La thérapie s’arrêtera d’un commun accord, sur 2 séances.
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Sociologie des couples
Les difficultés peuvent être variées (et dépendent de l'âge, des milieux sociaux, religieux, culturels du couple) : problèmes affectifs, financiers, juridiques, difficultés sexuelles, de fidélité, d’enfantement ou conflits familiaux.
Certains couples souhaitent juste traiter un déséquilibre ponctuel. Une fois cette crise dépassée, un désir de changement peut apparaitre sur un autre thème comme la famille élargie, les amis, les loisirs, la vie professionnelle, le temps, l’argent.
Un thème fréquemment travaillé est le passage du couple conjugal à la dyade parentale. Comment développer cette fonction parentale alors que le système-couple initial tente de maintenir son homéostasie ?
Tom et Katy vivent ensemble depuis 5 ans. Le couple est en crise 8 mois après la naissance de l’enfant.Tom déclenche la consultation au motif de ce qu’il perçoit comme un symptôme : l’absence de sexualité. Katy parle de sa fatigue et de charge mentale quotidienne. L’arrivée du bébé donne du sens à la vie de Katy. Tom se sent exclu et devient agressif. Ils peinent à sortir d’une relation duale, à maintenir le couple conjugal dans cette nouvelle configuration familiale.
Le thérapeute les aide à se différencier, à rendre conscients les sujets sous-jacents,par exempleleurs processus de décision. « Qui décide pour qui ? Qui est responsable de quoi ? Comment se répartissent les tâches ? Quelles sont vos stratégies de conflit ou réconciliation ? Quels changements de besoins, de rythme et de désirs, depuis la venue de l'enfant ? ».
Dans ce cas, le thérapeute fait émerger une demande commune explicite : « Comment retrouver votre intimité physique et émotionnelle, en restaurant le dialogue ? » II la différenciera par la suite d’une demande implicite :« Comment réguler les désirs de chacun et les enjeux de pouvoir pour sortir de cette solitude à 2 ?»
Du symptôme à la demande — de la demande à la problématique
La thérapie de couple n’est pas une technique de résolution de problème, encore moins du symptôme apparent. Le couple attire l’attention sur un symptôme qui semble un ajustement créateur ou conservateur. Cette manifestation peut devenir un levier de changement. « Vous êtes devenus un couple fonctionnel, orienté famille. En quoi cela vous est-il nécessaire ?».
Le symptôme précède la demande qui invite à la transformation. La demande consciente est à distinguer de la problématique de fond implicite, mise en lumière derrière le symptôme explicite. Il s’agit de déceler les jeux de pouvoir, les craintes, les espérances ou les enjeux de frontière qui circulent. Et en arrière-plan, quels traumatismes ou peurs sont à l'œuvre dans le couple ?
Un symptôme se déclenche pour remettre du mouvement.Le thérapeute fait un pas de côté par rapport à la demande explicite : « Quoi d’autre en ce moment dans votre couple ?» Il doit chercher ailleurs la problématique qui génère la souffrance. « Regardons comment la situation favorise engagement, désertion, présence et absence dans votre couple ?» Cela ouvre à des thématiques sous-jacentes : « Quels sont les tiers qui pèsent sur votre relation conjugale ?» (travail, loisirs, amis, famille d’origine ou recomposée).
Quand l’intimité du couple est altérée jusqu’à conduire à la séparation, celle-ci, bien préparée, peut apparaitre comme une issue possible. C’est alors une alternative souhaitable, même si parfois l’un est moins prêt que l’autre … La thérapie peut aider à se séparer, sans trop de blessures pour les adultes et les enfants. Mais quand la thérapie permet aux partenaires d’oser la nouveauté ensemble, alors le couple va pouvoir se réinventer.
Rôle et posture du thérapeute
Plusieurs approches se sont développées pour répondre aux couples en situation de crise. Le maillage entre Gestalt et Systémie est pertinent. Ces deux approches ne se focalisent ni sur le symptôme, ni sur celui qui le porte, mais sur les problématiques qui les sous-tendent. Elles déterminent ce qui va rendre la relation fluide et évolutive.
Thérapie de couple : la posture gestaltiste avec les couples
La simple présence du thérapeute produit du neuf. Il impacte le couple avec tout son être. Il met ses résonances au service du couple et partage ses observations phénoménologiques : « Je me sens agrippée par votre regard, madame. Et vous monsieur, vous regardez le sol. Est-ce que vous pourriez vous adresser l’un à l’autre ?».
Il est attentif aux sensations corporelles, manifestations émotionnelles dans l’ici et maintenant, et aux faits extérieurs ou antérieurs. Il favorise les échanges, pointe les évitements de contact, les refuges dans le passé ou l’irresponsabilité : "Que décidez-vous pour votre couple, tout en gardant chacun votre identité ?".
La reconstruction passe par un réaménagement du connu. Nommer l’ambivalence entre désir et peur du changement : " j’observe que votre couple reste figé. Quel risque pourrait produire la nouveauté ?".
Le thérapeute gestaltiste repère par quels mécanismes chacun met du mouvement dans ses modes de régulation de contact :
- Confluence : faire tout en couple. Répondre à la place de l’autre.
- Projection : projeter sur le partenaire son vécu ou traits de personnalité. L’imaginaire, l’interprétation colore les échanges : l’autre est pris comme support de projection.
- Déflexion : ironie, rire, silence. Répondre par une question.
- Rétroflexion : censurer sa colère et ses besoins. Pour éviter la crise, le couple étouffe du vivant derrière le non-dit. Les aider à oser le conflit.
- Introjection : démasquer les préjugés, s’émanciper des normes héritées de l’éducation, sortir d’un carcan social et familial pour inventer leur couple : « Que souhaitez-vous garder / changer ?»
Attentif aux phénomènes émergents, le thérapeute accueille, reflète certains ressentis. « Cela vous fait quoi quand madame parle d’étouffement et monsieur de froideur ?».
Il observe le cycle de contact au sein du couple et entre le couple et son environnement. Il met de la conscience sur ce que le couple lui fait vivre. Il favorise la circulation de la parole et des affects : « Là, vous êtes en train de vous blesser. Comment faire un pas l’un vers l’autre ? ».
Le thérapeute peut proposer de se questionner, reformuler ou d’amplifier le langage corporel. En partant de l’éprouvé de chacun, il encourage l’expression des attentes et la co-responsabilité : « Votre niveau de colère permet-il l’intimité ?». Si l’un des membres du couple peut s’émouvoir, l’autre se sent vu, entendu dans son besoin. Alors la relation se transforme. « Redevenez sensible à l’autre, regardez-le autrement, partagez la peine, le plaisir, la peur». La gestalt permet de ralentir et ressentir, en s’appuyant sur le corps.
Vision de l’approche systémique
L’approche systémique s’intéresse aux interactions. Elle regarde le couple comme un système vivant. Elle privilégie le couple comme interlocuteur. Les interventions ne s’adressent pas à l'un ou l'autre mais à l’entité couple pour créer du Nous : « Vous êtes un couple en souffrance » .
Elle considère le couple comme ayant ses règles de fonctionnement, son histoire spécifique, plus que 2 histoires individuelles. Elle observe le système-couple tenter de maintenir l’homéostasie en fonction des fluctuations de son environnement, la place des enfants ou de la famille élargie. Elle inclut les biographies dans ce qui peut se rejouer au sein du couple.
Selon l’école de Palo Alto, un système se forme, des éléments interagissent. La Systémie rejoint la posture gestaltiste quand le thérapeute devient partie prenante de la situation qu'il observe. En séance, le système est constitué du thérapeute et du couple. Tout élément du système impacte l’ensemble. « Me prenez-vous à témoin l’un contre l’autre ?».
La systémie propose d’amplifier le symptôme pour amener un changement ou externaliser le problème en lui donnant un nom, un espace.
Quand la Systémie féconde la Gestalt
Le couple est une entité pour la Systémie et un organisme en terme gestaltiste. L’articulation de ces approches offre une puissance d’intervention. Une posture intégrative du thérapeute de couple pourrait se décliner ainsi :
- S'appuyer sur les compétences du système couple.
- Porter attention à ce qui apparaît d'instant en instant.
- Revenir à la demande commune sans focus sur le symptôme.
- Noter la singularité corporelle, cognitive, affective de chacun.
- S'appuyer sur l’expérience immédiate, les sensations.
- Interroger les interactions, ressentis entre les partenaires et avec lui.
- Explorer leurs enjeux de place, rôle, territoire.
- Identifier les tentatives de prise de parti des partenaires.
- Savoir se retirer pour les mettre au travail, se démunir d'un projet.
Deux approches qui se marient bien
Si la gestalt-thérapie donne des repères pour évaluer une qualité de contact, de présence au monde, la systémie donne des clés de lecture sur ce qui fonctionne ou est dysfonctionnel.
Au fil des séances, un regard sur le système couple éclaire les difficultés relationnelles. Des enjeux émergent : peur, besoin, attente, jeux de pouvoir ou d’engagement. « Rompez le mur de l’indifférence, retrouvez le dialogue, bâtissez un pont pour vous rejoindre».
Un couple n’est pas une entité définitive et stable. Les frontières y sont flexibles et diffuses. La blessure de l'un active celle de l'autre. Elle peut conditionner la qualité du lien et la distance sociale ou intime. Pour éclairer les reproductions, les blessures d'enfance sont à accueillir sans trop les approfondir. Les conflits de loyauté, sentiments de déception peuvent donner sens à la crise.
Le défi est d’apaiser les modes défensifs, accéder à la co-responsabilité, la sécurité et l’authenticité. Par exemple en investiguant leurs processus relationnels. Le non-conscient influence les choix, conduit à des luttes de pouvoir, avec risque de positions autoritaires :« Voulez-vous rester ensemble ou chacun avoir raison ?»
Des expérimentations créatives ou corporelles sont proposées pour fluidifier les désaccords, favoriser la communication et l’apprentissage de la nouveauté. Le thérapeute peut utiliser des outils, dont certains sont issus du modèle systémique. Une valse créative au service des couples …
Comment clore la thérapie ?
La thérapie éclaire la conscience sur la relation Je-Nous et en favorise l’apprentissage. Cela implique de sortir du connu, de transformer l’élan conjugal initial en choix d'aimer.
Quels critères indiquent l’arrêt possible de thérapie ? Les partenaires augmentent la conscience de leurs processus relationnels. Ils passent de la confluence ou du conflit majeur à une saine différenciation consentie. Les reproches deviennent formulation de besoins à l’autre et ajustements créateurs. « Comment faire ensemble de la nouveauté ?»
Pour terminer la thérapie, leur préconiser de prendre soin des contrats relationnels du couple :
- Continuer d’exprimer de la gratitude au partenaire.
- Prendre le temps de s’écouter, reformuler pour décider.
- Organiser des temps de loisirs en couple, sans obligations ni enfants.
- Soutenir les activités ou projets communs « Quel couple voulez-vous être dans 3 ans ?».
La fin de la thérapie marque l’espoir d’un renouveau, quelle que soit la nouvelle forme qui émerge du processus.
L’accompagnement des couples avec un regard gestaltiste et systémique est réjouissant, complexe et bouleversant.
Formation à l'accompagnement des couples en 8 jours
Gratitude à Martine Masson et à Michel Olmanst pour la transmission de leur accompagnement gestaltiste avec les couples. Remerciements aussi à Anne et à J. Paul Sauzède pour leur transmission de compétences systémiques.
Pour aller plus loin
Découvrez l'interview de Muriel BEAUVIALA : Thérapie de couples, couples en thérapie, sur la chaîne YOU TUBE de l'EPG.
ELKAIM M, Vivre en couple, plaidoyer pour une stratégie du pire (ou du meilleur), Seuil, 2017.
GINGER S, 1995, La Gestalt, l’art du contact, InterEditions, Dunod, Novembre 2023
HEFEZ S, Scènes de la vie conjugale, Fayard, 2010.
MALAREWICZ JA, Repenser le couple, comment vivre à deux aujourd’hui ? Livre de poche, 2001.
NEUBURGER R, Le couple, le désirable et le périlleux, Payot, 2014
SAUZEDE-LAGARDE A, SAUZEDE JP, Pratiquer la thérapie de couple, Interéditions, Paris, 2019.
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- Article créé le 03/01/2024
- Mis à jour le 20/02/2024 à 12h02
À PROPOS DE L'AUTEURE
Muriel Beauviala
Gestalt-thérapeute, thérapeute de couple, thérapeute familiale, formatrice et superviseure
Superviseure, formatrice, thérapeute et coach certifiée, Muriel reçoit à Paris des familles et des couples, avec un regard gestaltiste et systémique. Ell
Elle accompagne un groupe continu hebdomadaire. Elle co-anime des stages sur le désir, la sexualité ainsi que sur la créativité et ajustement créateur. Elle anime des groupes thérapeutiques mensuels et aussi un atelier du lien.
Titulaire du Certificat Européen de Psychothérapie et diplômée de l'Université Paris VIII, elle est formée à la Gestalt, aux T.C.C, à la psychanalyse jungienne, aux thérapies de couple et thérapies familiales systémiques.
Membre de la SFG et FF2P, elle s’appuie sur la Perspective de champ et la PGRO. Elle supervise des gestalt-thérapeutes pour des accompagnements en individuel ou en couple.
FORMATION
- Formation à la Thérapie du couple / Anne et J.P Sauzède
- Formation à la recherche et à la pratique des Thérapies familiales / APRTF – S.Hefez, E.Romano
- Formation au Génogramme comme outil transgénérationnel thérapeutique / A. Chemin
- Formation à la Thérapie de couple systémique / Centre Monceau
- Formation à la sexologie par le docteur Charles Gellman
- Certificat Européen de Psychothérapie - CEP
- Certification de gestalt-thérapeute / École Parisienne de Gestalt
- Formation à l'animation de Psychodrame / D. Markman, J.M Delacroix
- DU « Pratique du COACHING » - diplôme universitaire / Paris VIII
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES
La Gestalt-thérapie avec les enfants et leurs familles, Ed InPress - Concept-Psy, 2021. Ouvrage collectif coordonné par Chantal Masquelier - 6 auteurs : G. Abeille, B. Baronetto, M. Beauviala, L. Le Grix, Ch. Masquelier, D. Quinternet.
ARTICLES
Regards croisés sur la Thérapie de couple : Influences et ajustements dans ma pratique, Revue Gestalt, 2021/2, n° 57, pages 131 à 145
Se soustraire aux regards pour mieux se dire – un cas de Thérapie de groupe en visioconférence , Revue Gestalt, 2021/1, n° 56, pages 69 à 83