THERAPIE FAMILIALE :

UNE

VALSE

ENTRE

GESTALT

ET

SYSTÉMIE

 

Muriel Beauviala, thérapeute familiale, de couple et de groupe décrit comment la Gestalt thérapie vient féconder l’approche systémique. Elle propose ici quelques notions théoriques sur l’accompagnement des familles.

Crise familiale et motifs de consultation

Types de difficultés familiales

Les crises peuvent surgir dans des contextes variés. Elles bouleversent soudain l'équilibre ou bien elles rongent la famille, à bas bruit.

• Conflits relationnels : des frictions entre parents et enfants, tensions entre frères et sœurs ou conflits conjugaux perturbent l'harmonie familiale
• Transitions de vie : des évènements majeurs comme les mariages, naissances, séparations ou départs à la retraite modifient l'équilibre familial et engendrent du stress
• Différences culturelles, sociales, religieuses amplifiées dans une famille recomposée
• Traumatismes : deuils, accidents, maladies graves, abus sexuels ou psychiques affectent profondément la stabilité émotionnelle de la famille
• Troubles : alimentaires, addictifs, etc… ou échecs (scolaires, professionnels) impactent l’individu comme l’ensemble de la famille.   

Un accompagnement familial

Certaines crises déclenchent une demande explicite. Le thérapeute investigue les processus relationnels pour clarifier la problématique implicite : Qui demande quoi ? A qui ? Pour qui ? Qui souffre ? Qui porte le symptôme ? Pour quoi faire ? Et pourquoi maintenant ? 

Quelques exemples non exhaustifs :

• Explorer les liens affectifs entre les membres de la famille. Faciliter l'expression des émotions, la compréhension des vécus  
• Accueillir le comportement d’un adolescent (rebelle, anxieux, déprimé, violent) au regard des relations avec ses parents et sa fratrie
• Identifier le type de famille (enchevêtrée ou distanciée) : mise en travail si nécessaire des relations avec l’extérieur, les amis, le social ou la famille élargie 
• Accompagner les familles en transition : ni fusion ni séparation mais différenciation
• Soutenir la famille dans les responsabilités liées à la souffrance, la maladie, le processus de deuil ou l’angoisse de finitude à l’évocation du décès ou départ d’un des membres
• Mettre en lumière les jeux de pouvoir, le rapport à l’intimité ou à l’argent. Les biens matériels sont-ils sources de conflit ou de loyauté ?
• Maintenir une saine co-parentalité, préparer les enfants au changement, adoucir les conflits post-séparation 
• Clarifier les enjeux de frontières et de territoire au sein de la famille.


Apport de la Thérapie familiale systémique

La thérapie familiale systémique envisage la famille comme un système où les comportements des membres sont influencés par leurs interactions mutuelles. 

Principes de base

La thérapie familiale systémique se concentre sur les relations au sein de la famille, considérant chaque membre comme une partie intégrante d’un système global. Les comportements individuels sont observés dans le contexte des interactions familiales. 

• Le tout est plus que la somme des parties 
• Interdépendance : chaque membre affecte et est affecté par les autres. Les comportements et émotions sont souvent des réponses aux dynamiques familiales
• Le système est vivant : croissance, histoire de la famille
• Des règles implicites orchestrent les interactions, relations, fonctions, places, enjeux de pouvoir, processus de décision. Chaque membre adopte un rôle (bouc émissaire, protecteur de la famille, sauveur de…)
• Causalité circulaire : contrairement à l’approche de cause à effet, la systémique voit les problèmes comme circulaires. Chaque comportement est à la fois cause et conséquence de celui des autres
• Homéostasie : la famille cherche à garder un équilibre, même dysfonctionnel, pour sa survie (maintien de la stabilité dans un environnement changeant).
• Flexibilité : adaptation aux changements internes et externes sans perturbation radicale.

Utilité de l'approche systémique

Dans les années 60, l’école de Palo Alto s’écartant de la psychanalyse freudienne, prône la communication interindividuelle. Le questionnement est innovant : « comment changer ? » plutôt qu’interroger le pourquoi. 

• Vision globale des problèmes : comprendre les enjeux familiaux en tenant compte des relations complexes entre les membres
• Éviter la stigmatisation : examiner les dynamiques familiales qui alimentent les problèmes au lieu de blâmer un seul membre
• Identifier les modes de communication inefficaces : aider à adopter des échanges plus constructifs
• Favoriser l’empathie : écouter les ressentis des autres pour alléger les malentendus
• Réduire le conflit : la prise de conscience des rôles et schémas récurrents amène de l’apaisement
• « On ne peut pas ne pas communiquer » : chacun est responsable de la qualité de ses interactions.

Outils systémiques utilisés en Thérapie familiale

Des outils sur lesquels famille et thérapeute inscrivent leur empreinte permettent de modifier les dynamiques familiales et faire circuler la parole dans une situation bloquée. Selon les besoins du processus, le praticien les utilise avec des modalités diverses. 
Libre à chacun d'en inventer de nouveaux selon le contexte familial. Voilà une liste non exhaustive de ces outils :

Le blason familial 

Conception d’un blason pour représenter les valeurs, forces et défis de la famille pour mettre en lumière les ressources. Chaque membre travaille sur son identité et sentiment d’appartenance à la famille en co-créant ce blason qui comporte un objet symbolique et une indication portant sur le passé, le présent et l'avenir. Cela renforce l'unité collective, donne du sens aux épreuves et construit une vision neuve, où la co-existence de l'individu et de l’entité famille éclaire la situation.

La sculpture de la famille

Technique où les membres de la famille se positionnent physiquement pour représenter leurs relations. Cette visualisation révèle les distances émotionnelles, alliances et tensions. Cela permet de voir des signes non verbaux et d’explorer les ressentis associés, révélant souvent des aspects non exprimés des relations. Les sensations corporelles, les mouvements, les résistances ouvrent à la prise de responsabilité des élans ou retraits. Cela aide à conscientiser les schémas relationnels et à tester du nouveau dans les interactions.

Le conte symbolique

Un conte pour refléter les dynamiques familiales provoque une prise de conscience, permet un travail indirect sur des sujets délicats, réduit la résistance, ouvre des pistes de réflexion. Il favorise le dialogue et permet aux membres de se voir à travers une perspective inhabituelle. Les relations sont transposées dans l'espace, le temps et attribuées à une famille imaginaire. Ce reflet leur permet de se positionner et nuancer la dialectique entre identité et appartenance.

Le Génogramme

Outil informatif et relationnel pour passer du roman familial à l’histoire de la famille à partir des dates, des événements et des identités de chaque membre. Dessiner une image graphique sur plusieurs générations donne des repères, articule les données pour échanger sur des problématiques. Cela permet des hypothèses de lien avec un symptôme actuel. Ce n'est pas l'histoire réelle qui importe mais la perception émotionnelle de chacun et le repérage des « ardoises pivotantes » : tentative de règlement d’une injustice du passé par le biais d’un tiers souvent « innocent » dans les relations du présent (substitut du débiteur ou du créancier originel).

Maillage avec la Gestalt Thérapie

Notions de Gestalt pour accompagner les familles

• Ici et maintenant : se concentrer sur le moment présent pour transformer les interactions familiales 
• L’awareness : état de conscience flottant qui attend l’émergence d’une figure. Capacité à se laisser toucher par ce qui est là, au niveau corporel et émotionnel avant de le mettre au service de la famille 
• Phénoménologie : repérer les phénomènes à l’œuvre dans la famille. La réalité perçue reste inachevée et s’appréhende au travers de filtres 
• Epoché : accueillir les émergences sans jugement. Encourager l’expression des ressentis et besoins sans interpréter la situation
• Responsabilité : chaque membre prend conscience de sa part dans le problème et transforme ses reproches en formulation de besoins ou demande.

La Gestalt enrichit la Systémique

Un travail sur l’organisme et l’environnement permet de voir comment les ressentis individuels influencent la dynamique familiale. La Gestalt aide à explorer les conflits internes et les interactions en observant les régulations du contact (introjection, projection, confluence, rétroflexion…). Si une modalité est massive chez l’un des membres, mise en travail sans lui faire porter la difficulté collective. Faire circuler la parole avec les autres permet de soulager le « patient désigné » parfois par la famille, et de fluidifier les tensions ou répétitions. 

Bénéfices pour les familles

Articuler les approches systémique et gestaltiste permet de traiter à la fois le système familial, les individus et les interactions. L’authenticité des échanges facilite la communication. Cette posture intégrative renforce les liens, libère des sentiments, garantit une compréhension mutuelle.

Types d’expérimentation gestaltiste avec les familles

Le plus utile dans nos cabinets est d’improviser une expérimentation, pas à pas, en co-création, suivre ce qui émerge de la rencontre avec cette famille et ses problèmes spécifiques. Il s’agit d’être au plus près de la situation évoquée, d’observer les régulations du contact, d’explorer un ajustement créateur pour aider la famille à faire autrement.

Sinon, voici quelques techniques utilisables pour renforcer l’authenticité des échanges et assouplir des scénarios reproductifs. L’expérience émotionnelle génère une transformation relationnelle.

La résonance émotionnelle

Chaque membre de la famille exprime ce qu’il ressent à propos d’une situation, d’un désaccord, en utilisant des phrases commençant par " Je ressens..." et en décrivant où son émotion se manifeste dans son corps (poids sur les épaules, respiration courte, tension dans le ventre…). 
Cela permet de prendre conscience et de verbaliser les éprouvés de chacun pour obtenir une communication sincère. 

Le dialogue authentique

Chaque membre parle librement de ce qu’il ressent, suivi du retour des autres sur ce qu’ils ont entendu (sans juger ni répondre). Cela encourage l’écoute active, réduit l’impulsivité, permet une meilleure compréhension. Chacun a 5 minutes pour parler de ses préoccupations sans être interrompu. Les autres écoutent, reformulent ce qu'ils ont compris, clarifient les malentendus dans le respect des échanges.

La technique de la chaise vide

Un membre de la famille parle à une chaise vide représentant une personne (présente, absente, importante ou imaginaire). La chaise est introduite pour faire converser les membres sur leur relation avec le +1 de la famille. C’est utile pour exprimer des ressentis envers un absent ou clarifier des blocages. « Qu’avez-vous besoin de lui dire ou écrire ? ». Avec ou sans la lecture d’une lettre. Cela libère des émotions ou pensées, clarifie les besoins en favorisant l’écoute, sans confrontation directe : face à une chaise vide, une mère évoque ses frustrations envers son adolescent puis l’adolescent exprime sa colère refoulée. 

Le jeu de rôles inversés

Les membres de la famille échangent leurs rôles : un parent joue le rôle de son enfant et vice-versa. Cela permet de voir la situation depuis le point de vue de l’autre, comprendre son comportement et soulager les tensions : le parent joue l’enfant rebelle et inversement. Ce jeu favorise l’empathie, met en lumière les attentes ressenties de part et d’autre, facilite une discussion constructive.

La ligne du temps

Chaque membre trace une ligne du temps des événements marquants de la famille et associe des émotions à ces événements. Exploration de comment chacun a vécu ces moments pour voir l’impact sur les relations, voir les griefs accumulés et ouvrir un espace de réconciliation : un parent et un enfant retracent des moments de conflit ou de joie familiale et débattent des sentiments et sens donnés aux faits.

Le dessin des ressentis

Chacun met sur papier ses ressentis, valeurs et besoins actuels. Ce dessin est partagé avec le groupe familial. Cela aide à externaliser et saisir les émotions, réduire la peur et créer un espace d’expression enrichissant : un adolescent dessine des symboles représentant la pression scolaire et son besoin d'autonomie, ce qui ouvre une discussion avec sa famille.

Ces exercices renforcent l'authenticité et assouplissent les schémas répétitifs. En cas de conflit, la confrontation directe amène angoisse et résistance. L’expérimentation permet de dire sans dire, de rester dans une zone de sécurité proche d’une zone d’intimité.

Le cadre en Thérapie familiale

Le cadre vise à augmenter la sécurité et l’espace de liberté pour la famille comme pour le thérapeute. Il permet de contenir les crises traversées par la famille. Voilà quelques règles à adapter selon le contexte.

• Engagement : un des membres est moteur de la démarche. D’autres s’adaptent (chantage au divorce, argent de poche…). Faire émerger une volonté commune de transformation
• Respect et circularité de la parole entre les membres 
• Confidentialité : travail possible si les membres ont la certitude que ce qu’ils disent ne se retournera pas contre eux. Ce besoin de sécurité n’est garanti qu’en partie par le secret professionnel 
  • proposer de garder le précieux de ce qui est dit dans le cadre de la séance  
  • ouvrir au partage à des tiers hors famille (amis, collègues) 
  • mettre au travail ce que l’un a eu besoin de dire à l’extérieur 
• Qui ? centre de gravité sur la famille, parfois des temps individuels symétriques. Ou séances en sous-groupes (fratrie, couple parental)
• Durée séance : souvent 1h30 pour faciliter le temps de parole  
• Rythme : moins soutenu qu’en individuel
  • au début : 2 fois / mois (avec risque de dramatisation)

  • en cours de thérapie : 1 fois toutes les 3 semaines

  • vers la fin : entre 4 à 6 semaines (avec risque de dilution)
• Tarif : écarts marqués en fonction des régions, durée de séance, du pôle thérapeute assuré en solo ou en dyade. Qui paye ? Le couple parental ou une part chacun, type « payement symbolique » des enfants ? 
• Rendez-vous manqué :

  • par la famille : séance est due

  • par l’un des membres : travail avec la « chaise vide » de l’absent 
  • à partir de 2 absents : séance annulée et due
• Durée : 3 à 18 mois. Le but est de rendre la famille autonome à résoudre ses propres conflits ou ses difficultés avec l’environnement.

Conclusion

Combiner la Systémie avec la Gestalt thérapie articule vertueusement les enjeux individuels et les interactions avec l’entité famille. Le Systémicien considère que chaque membre influence et est influencé par les autres. Il observe les relations, les alliances, la communication. Il oriente sa conscience sur l’interaction et recherche le problème sous-jacent à la demande formulée. Alors que le praticien gestaltiste adopte une posture d’awareness plus que de consciousness. Il observe les modalités à la frontière contact et les interruptions. Le symptôme est vu comme un ajustement de la famille, venant en thérapie, entre autres, pour clore des gestalts inachevées. La dimension émotionnelle est indispensable pour appréhender les enjeux familiaux, les ressentis individuels et la qualité des interactions.

L’intégration des 2 approches serait par exemple l’utilisation de la technique de la sculpture familiale puis de la chaise vide pour libérer les sentiments refoulés et apaiser une relation tendue entre mère et fille. Dans la même séance, faire circuler aussi la parole et les ressentis des autres membres. Ce qui prime est la posture intégrative, plus que les outils qui ne sont que des moyens, des balises mouvantes. Plutôt que de traiter les symptômes individuels, la thérapie familiale modifie les processus relationnels qui les sous-tendent. Pour restaurer un équilibre familial sur la durée, elle favorise la communication, prévient l’escalade des symptômes et l’aggravation des problématiques de fond. 

Pour aller plus loin

AUDIBERT C, (2024), Amour et crises dans la famille recomposée, Ed Payot 
ANDOLFI M, (1982), La thérapie avec les familles, Ed ESF
AUSLOOS G., (1995), La compétence des familles, Ed Erès
FABER A., MAZLISH E., (2001), Parents épanouis, enfants épanouis, Ed Relations plus
HEFEZ S., (2004), Quand la famille s’emmêle, Ed Hachette

 

DÉCOUVREZ NOTRE FORMATION SUR "ROMAN FAMILIAL ET RÉCITS DE VIE"

 

• Partager :
• Facebook
• Twitter
• LinkedIn
• Email
• Permalien
  Lien copié

• Article créé le 08/10/2024
• Mis à jour le 28/10/2024 à 12h10